• LA JEUNESSE DE LUC DECAUNES


        Entre quinze et dix-huit ans, LUC DECAUNES découvrira d'abord Baudelaire qu'il lit hâtivement, puis le monde pathétique de François Mauriac. Il admirera Charles Guérin et sera fasciné par les romans de Giraudoux. Il lira ses pièces bien plus tard, et en gardera pour le théâtre un amour que les années ne détruiront pas. Imbibé de lectures, brûlé par le désir romantique de s'affirmer, il compose à profusion poèmes, romans, pièces de théâtre: il s'adonne à la musique, écrit des chansons et des opéras. Dans l'étrange et exaltante ivresse que lui procure cette activité, il noircit des milliers de pages où il dégorge ses joies, ses ressentiments, la déchirante nostalgie de la vie.

     

        En sommes, à 18 ans, LUC DECAUNES est l'un de ces milliers d'adolescents qui attendent, au fond de leur province, le moment de monter à Paris pour y vivre leur rêve. L'isolement (même à Toulouse, on l'a vu, un garçon timide est pauvre peut se sentir seul), l'ambition d'égaler Hugo ou Baudelaire, et, quoi qu'on en puisse penser, une certaine tradition provinciale en ont fait un jeune homme fervent de poésie, prêt à supporter la misère pour connaître Paris, se mêler à la jeunesse des écoles, aux poètes, à son vieux peuple ingénieux, raffiné et fraternel.

     

        Au reste il faut le dire, loin de s'opposer à ses rêves littéraires, les parents de LUC DECAUNES encourageront toujours cette vocation naissante.

     

        Importante aussi fut l'influence de la soeur de sa mère. Exaltée et mystique, cette femme singulière qui ne se maria jamais avait reporté sur son neveu ses rêves un peu fou et, soit par lettres, soit au cours de séjours qu'elle fit à Toulouse, entretint chez le jeune garçon des ambitions fiévreuses autant qu'utopiques.

     

        Lorsqu'il débarque à Paris en 1931, les grands feux du surréalisme continuent toujours d'illuminer la poésie. Parti des revues d'avant-garde, sont embrasement a gagné les publications bien pensantes.

     

        Déjà, le “Manifeste du surréalisme” est devenu un document littéraire, et le surréalisme, un phénomène que les critiques essayent d'intégrer à l'histoire des lettres. André Breton vient de publier dans “le Révolver à cheveux blancs” quelques uns de ses meilleures poèmes. Avec Eluard, il détient la vérité surréaliste, tandis qu'Aragon, excédé des violences verbales, converti au communisme après avoir assisté au 1er Congrès international des écrivains révolutionnaires à Kharkov, rompt définitivement avec le surréalisme à la suite de la publication par Breton de “Misère de la poésie”. Ces querelles, où s'affrontent et s'entremêlent la littérature et l'idéologie, ne pouvaient laisser indifférent un jeune écrivain qui avait rêvé longuement de changer le monde et de refaire la poésie.

     

        Dans ce Paris sombre et besogneux qu'il découvre, LUC DECAUNES connaîtra d'abord le dénuement le plus complet avant qu'il ne devienne instituteur.

     

        Il croyait, par ses lectures de Toulouse, en avoir appris assez sur les habitudes littéraires et les écrivains, et pouvoir s'e faire une idée exacte du climat et des multiples aspects de la vie intellectuelle, et ne pas se sentir dépaysé à son contact. Pendant plusieurs mois, il va vivre dans la solitude. Il ne fréquente aucun écrivain, a pour seul ami un jeune ouvrier parisien sans culture avec qui il court la ville. Mais bon sang ne saurait mentir.

     

        Il participera aux manifestations ouvrières de février 1934, car il a deviné que le destin de la démocratie française se jouait pendant ces journées. Il finit cependant par se créer des amitiés. Avec quelques jeunes gens qu'il rencontre toutes les semaines, il fonde “Atalante”.

     

        Ce premier compagnonnage littéraire va lui permettre de rencontrer Michel Rochvarger qui exercera sur lui une affluence révélatrice, Lucien Nigg “le frère du compositeur), Louis Guillaume, Jean Digot avec qui il va fait un long bout de chemin, et d'approcher Julien Teppe, le fondateur de l'école du “dolorisme”.

     

        Au contact des réalités de la vie quotidienne, LUC DECAUNES a eu bien vite le sentiment que l'époque qu'il vit est exceptionnelle. Il est vrai que de 1933 à la seconde guerre mondiale, l'avènement du nazisme et le souffle panique qu'il fait passer sur l'Europe, les conquêtes hitlériennes en Autriche et en Tchécoslovaquie, la sanglante guerre d'Espagne, le néfaste accord de Munich, donnèrent aux hommes de l'Occident, restés conscients du destin du monde, la sensation d'être les spectateurs de la plus grande tragédie historique que l'humanité eût vécue.

     


     



    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique